L'enjeu de la crise actuelle n'est pas le sort de la Belgique; c'est celui des francophones et singulièrement des Bruxellois.
Constatons tout d'abord que la marge de manoeuvre est faible. Le paysage politique flamand garantit une influence déterminante aux extrémistes, et rien ne permet de croire que cela va changer. Le CD&V est incontournable - avec ou sans NVA - et son but est de déshabiller la Belgique jusqu'à ce qu'il n'en reste que ce qui arrange encore les Flamands. Qu'on ne s'y trompe pas, la seule différence avec la NVA sur ce point est que le CD&V est un peu moins impatient, c'est tout.
Car qu'est-ce que la Belgique "confédérale" à la sauce flamande qu'on tâche de nous vendre comme une dernière chance pour sauver les meubles ? C'est avant tout une frontière linguistique dont chacun sait le caractère politique et artificiel - voir notamment
l'excellent article de Baudouin Peeters à ce sujet. L'ambition flamande non dissimulée est d'en faire une frontière d'état derrière laquelle les francophones, qualifiés
"d'immigrés" , seraient condamnés à disparaître. C'est ensuite le maintien d'une législation linguistique inapplicable et défavorable aux francophones qui garantit des tensions communautaires pour les siècles à venir. C'est enfin le reserrement de la mainmise flamande sur Bruxelles, ville qui est pourtant désormais à peu près totalement francophone, quoi qu'en disent certains Flamands qui prétendent tirer de la présence de fortes populations étrangères à Bruxelles des conclusions diamétralement opposées à celles qu'ils sont prêts à accepter pour leurs propres minorités. Cette position de force est d'autant plus inique que les Flamands attaquent systématiquement les intérêts des Bruxellois chaque fois qu'ils en ont l'occasion, en ce compris pour des mesquineries comme les vols de nuit provenant de Zaventem, voulant sans doute prouver par là l'affection qu'ils ont pour cette ville dont ils prétendent qu'elle serait leur capitale.
La Belgique "confédérale" est donc un instrument d'asservissement des francophones et c'est à très juste titre que l'écrasante majorité d'entre eux n'en veulent pas. Nombre de nos concitoyens manquent cependant encore de réalisme et s'imaginent pouvoir maintenir sous une forme ou l'autre la Belgique de papa, sans s'apercevoir qu'ils ont besoin pour cela de partenaires flamands et que ceux-ci n'existent plus.
Bruxelles est essentielle pour l'avenir de la Wallonie et la périphérie est essentielle pour l'avenir de Bruxelles. L'élargissement de Bruxelles aux communes à facilités, très majoritairement francophones, sociologiquement et économiquement bruxelloises, n'est pas une simple question de justice ou même de continuïté territoriale, elle est également indispensable parce que ces communes abritent une population riche et dynamique dont Bruxelles ne peut se priver si les mécanismes de solidarité et électoraux de l'état belgique sont rompus. Le refus flamand d'aborder cette question sérieusement est inacceptable et ce doit être dit clairement. L'élargissement de Bruxelles est un préalable à toute refonte du système belge. Si les Flamands trouvent cette "annexion" trop "dix-neuvième", ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. Il s'agit en effet d'une juste riposte à leur conception archaïque de la nation et du territoire national et aux politiques ethnocentristes qu'elle leur inspire depuis des décennies. On imagine les réactions qu'aurait suscité un premier ministre slovaque s'il
avait cru pouvoir déclarer au sujet des Juifs ou des Tsiganes ce qu'Yves Leterme, appuyé par toute la Flandre, a osé affirmer au sujet de la minorité francophone qu'il gouvernait et aux intérêts de laquelle il était censé veiller. Ce sont en d'autres termes les Flamands qui ont rendu indispensable l'élargissement de Bruxelles par leur refus de reconnaître les droits de la minorité francophone et la mise en oeuvre de politiques d'assimilation forcée. Tout politicien francophone qui cèderait quoi que ce soit aux Flamands sur ce point trahirait les intérêts vitaux de ses concitoyens.
Trois voies s'ouvrent désormais aux francophones: une stratégie du pourrissement, s'appuyant sur la prime à l'immobilisme qu'offrent les règles du jeu actuelles - c'est jusqu'à présent le choix qu'ont fait les partis politiques francophones - une refonte complète de l'état belgique et enfin la disparition de cet état, du moins dans la mesure où il comprend la Flandre. Il n'y a pas grand chose à dire sur la première stratégie, sauf qu'elle est très efficace à court terme mais qu'elle laisse finalement l'initiative aux Flamands.
Une refonte complète de l'état belgique n'a de sens que s'il existe de part et d'autre la volonté de remettre tout le système à plat dans une optique d'efficacité et qu'on est prêt à trouver des équilibres durables le long de la frontière linguistique. Sachant que cela implique la disparition de nombre de ces petits postes dont sont si friands les politiques de tous les rôles linguistiques, on appréciera le réalisme de la proposition. Mais essayons-nous cependant à cet exercice, qui jette par ailleurs une lumière tout à fait intéressante sur la troisième solution, l'indépendance ou une formule de réunion avec la France.
Tout d'abord, il faudra scinder BHV et mettre fin aux facilités - sauf là où elles sont acceptées par tous, auquel cas il convient de les rendre "éternelles" de manière claire. Le bricolage institutionnel ne mène qu'à de nouveaux conflits, il faut y mettre fin. Parallèlement, il faudra pérenniser les droits des francophones établis dans des communes où jamais ces droits n'auraient été menacés si les Flamands avaient respecté les accords auxquels ils ont souscrit dans le passé. Concrètement, le seul moyen de préserver ces droits, face à la volonté flamande de faire disparaître la minorité francophone, est le transfert des communes à facilités de la périphérie vers la région bruxelloise, bilingue et donc respectueuse des droits légitimes de la minorité néerlandophone, sans oublier évidemment le retour à Liège des Fourons. On voit bien en effet que la Flandre ne peut accepter en son sein une quelconque minorité et que les instruments juridiques qui permettaient de corriger les excès et les injustices n'existent plus. Les chambres flamandes de la Cour constitutionnelle et du Conseil d'état, généralement compétentes pour juger de ces affaires en raison de leur distribution territoriale, donnent systématiquement tort aux francophones obligés de s'adresser à elles et sont donc devenues un instrument aux mains des flamingants. Notons aussi qu'il faudra abolir les mécanismes antidémocratiques dont bénéficient les partis flamands à Bruxelles et revoir les mécanismes qui garantissent aux Bruxellois néerlandophones l'exercice de leurs droits légitimes. Ce qui importe est que l'administration puisse traiter les demandes en néerlandais, et non que chaque fonctionnaire soit bilingue. Les fameux "guichets" de Roger Nols n'étaient en réalité pas une mauvaise solution. Et il est également grand temps qu'il soit mis fin à l'anomalie que constitue la présence des institutions de la région flamande en région bruxelloise. Avis au monde politique flamand : il parait qu'Anvers c'est très joli.
Il faudra ensuite défédéraliser complètement la fiscalité afin de réduire les heurts entre communautés, tout en rendant à chaque région les instruments qui lui permettent d'assurer son avenir. Cela implique notamment l'application du principe fondamental de la fiscalité sur le travail frontalier, l'imposition sur le lieu de travail. La Wallonie y perdra, certes. Bruxelles par contre, financièrement exangue suite aux manoeuvres flamandes, y gagnera et la dynamisation qui en résultera aura un effet d'entraînement sur la Wallonie. Il est d'ailleurs indispensable de profiter de la diminution des dépenses publiques induites par la complexité institutionelle de ce pays pour diminuer de manière spectaculaire les charges fiscales et sociales qui plombent l'économie de notre pays.
Les Flamands ont raison d'inviter les francophones à prendre leur destin en main - mais les francophones ne peuvent les laisser détruire leurs atouts en se laissant voler une partie de leur territoire et de leur population ainsi que les instruments fiscaux et économiques qui leur permettent d'assurer leur avenir. Si la Flandre n'est pas prête à reconnaître que les intérêts des francophones sont aussi importants que les siens, les francophones doivent en tirer les conclusions et abandonner cette Belgique qui s'apparente de plus en plus à une cage qu'on n'oserait qualifier de "dorée".
Car à nouveau, il ne faut pas s'y tromper; ce n'est pas l'envie qui manque à nos amis flamands de tirer la prise, c'est la prise de conscience d'une réalité simple, celle qu'ils n'ont rien à gagner dans l'aventure. Les francophones ont par contre suffisamment d'atouts en main pour pouvoir aborder le débat institutionnel sereinement et en ne se laissant pas impressionner par l'hystérie imprécatoire que nombre de Flamands semblent confondre avec le dialogue.